Ça veut dire : On S’en Branle. OSB est né dans certaines universités, parmi des professeurs jeunes qui ne sont pourtant pas des débutants. Ce n’est pas un parti, pas un mouvement, pas un club. OSB ne dispose d’aucune structure, ne mène aucune action particulière, n’oblige à réciter aucun catéchisme. Le sigle est né par hasard, d’une boutade lancée un jour de dégoût majeur. Qu’on n’agite pas trop vite un doigt vengeur : ces gens-là sont tout sauf des indifférents, des cyniques, des égocentriques. Au sens le plus fort du mot, ce sont des chercheurs. Ils ont pesé avec gravité le monde où ils évoluent et où ils voient leurs étudiants s’enfoncer comme dans un marais. Résultat : à tout ce que pense ce monde, à tout ce qu’il dit, à tout ce qu’il propose, à tout ce qu’il exige, à tout ce qu’il manigance, à tout ce qu’il veut conserver, transformer, supprimer, ils savent, ils savent pour eux, ils savent pour la jeunesse, que la réponse est : OSB. Ce n’est pas un cri de guerre. Ce n’est pas une révélation mystique. Ce n’est pas un appel politique. Ce n’est pas un mouvement culturel. Une provocation ? Si l’on veut, mais une provocation à, une invitation à. À quoi ? Je ne sais pas. Chacun trouvera. À chercher, peut-être, à tout chercher ? «Ce que nous cherchons est tout.» Ma génération aurait reculé, au moins en public, devant une formulation aussi verte. N’importe. «Des cerveaux bien irrigués», disait Stanislas Fumet de la plupart des intellectuels de son temps. OSB, affirmation par la négative, a raison de rappeler, même vigoureusement, à la cérébralité nerveuse et empotée de l’époque que l’intelligence, elle aussi, a ses sources secrètes.
J’attends naturellement qu’on s’insurge contre le nihilisme d’OSB. J’attends la pieuse expression de cette indignation et l’encourage à se manifester sans délai. Celles et ceux qui feignent aujourd’hui de ne pas comprendre que le vrai nihilisme est là, parmi nous, dans nos cœurs, dans nos esprits, dans nos corps, qu’il est quotidien, concret, convivial, citoyen, libéral, socialiste, patronal, syndical, conservateur, révolutionnaire, snob, populaire, banlieusard, centrevillard, public, privé, croyant, incroyant, chaste, bambochard, qu’il prolifère dans la marge et dans la page, qu’il habite la totale totalité de la société française, européenne, occidentale, sans parler de ses «avancées» et de ses «percées» ailleurs ; celles et ceux qui n’ont pas la droiture d’âme minimale pour sentir qu’OSB et tout ce qui lui ressemble, c’est un effort terrible, inspiré à parts égales par le dégoût et par l’amitié, pour tendre un miroir à tous les cadavres, dominants et dominés, dans la folle espérance qu’une seule cellule y soit encore vivante, qu’OSB, c’est le courage de croire que moins par moins, ça fait plus, que le nihilisme n’est mortel qu’autant qu’on n’ose pas le regarder en face et prononcer son nom, qu’on le chouchoute et le civilise, qu’on le dorlote et l’institutionnalise, qu’on le pelote et qu’on le décore, qu’on l’épargne et qu’on l’investit, qu’on le nuance et qu’on le commente, qu’on le raisonne et qu’on le moralise, celles-là, ceux-là, qu’ils se lèvent et qu’ils s’indignent ! Et si, regardant autour d’eux, ils constatent que personne ne se lève, qu’ils se demandent alors où a bien pu passer cet ennemi redoutable, et qui l’a désigné, et ce que signifie le silence lourd qui s’est soudain abattu sur la foule.
Jean Sur, Le marché de Résurgences (XXXVIII)
[Ça me rappelle fugacement la FIGB lancée par Larcenet (http://www.pebfox.com/figb-larcenet.htm)%5D (mais en fait, non).